Ce projet a pour but de réaliser une petite matrice OLED « maison » afin d’illustrer tout le parcours d’un afficheur organique : choix de l’empilement de couches, réalisation en salle blanche, mesures électriques et optiques, puis pilotage en matrice. L’enjeu est double : comprendre concrètement ce qui fait s’allumer un pixel (matériaux, épaisseurs, injection de charges) et apprendre à le commander collectivement sans le dégrader. Nous visons une démarche accessible : un vocabulaire simple, des ordres de grandeur clairs et des images issues de nos fabrications pour ancrer les explications.
Construire un afficheur organique à partir de couches minces permet de relier les gestes de salle blanche au comportement visible d’un pixel. L’OLED est intéressante car sa lumière provient directement de la zone organique lorsqu’un courant la traverse ; il n’y a pas de rétro-éclairage. En fabriquant nos propres pixels, nous pouvons relier l’uniformité d’un dépôt, la qualité d’une interface ou la propreté d’un masque à des effets concrets : tension d’allumage, homogénéité de luminance, dérive dans le temps.
Nous nous fixons des cibles réalistes : obtenir une tension d’allumage nette, une montée de luminance régulière avec le courant, un rendement de pixels allumés satisfaisant sur la matrice, et une uniformité correcte à l’œil. Les courbes courant-tension (I–V) et luminance-courant (L–I) sont nos repères ; elles servent à valider l’empilement et à dimensionner le pilotage.
Un pixel OLED standard se compose d’un substrat (verre), d’une anode transparente (souvent ITO), de couches organiques pour transporter les trous et les électrons, d’une couche émissive au centre, puis d’une cathode métallique semi-réfléchissante. Chaque couche a une épaisseur cible (quelques dizaines à quelques centaines de nanomètres) et un rôle précis : faciliter l’injection de charges, les transporter, les recombiner dans la zone émissive et extraire la lumière. Une sur-épaisseur peut augmenter la tension nécessaire ; une sous-épaisseur peut créer des fuites ou des courts-circuits.
Empilement simplifié : verre / ITO / couches organiques (injection & transport) / couche émissive / cathode métallique.
La matrice résulte de la répétition d’îlots ITO (anodes) croisés avec des bandes cathodes. Le pas des pixels et l’ouverture influencent le « fill factor », donc la luminance perçue. Des masques physiques guident les dépôts sous vide pour dessiner proprement les zones actives. Une bonne coïncidence des masques limite les fuites latérales et améliore l’uniformité entre pixels voisins.
Répétition des pixels et alignement des masques : pas, ouverture, bordures d’isolement.
La propreté du substrat conditionne la qualité des interfaces. Nous nettoyons le verre/ITO (bains, ultrasons), séchons, puis activons la surface (par exemple plasma) pour améliorer l’adhérence. Si nécessaire, un motif ITO est défini par photolithographie puis attaque chimique ; on obtient ainsi les anodes indépendantes de la matrice.
Enchaînement des étapes : nettoyage, motif ITO, dépôts organiques, métallisation cathode, encapsulation.
Les couches organiques et la cathode sont déposées sous vide par évaporation. Le débit de dépôt et la distance source-substrat influencent l’uniformité ; une rotation du porte-échantillon aide à homogénéiser l’épaisseur. Les masques d’ombre définissent les zones utiles. Un contrôle d’épaisseur par quartz ou ellipsométrie sur des échantillons témoins permet de valider les cibles avant d’allumer une grande série de pixels.
Évaporation sous vide : contrôle du taux de dépôt et des profils pour des films réguliers.
La première vérification consiste à mesurer le courant en fonction de la tension. On observe généralement une zone de très faible courant, puis un « genou » où la conduction s’établit et où la lumière apparaît. Quand le transport est limité par la charge d’espace, le courant suit l’approximation \( J_{\mathrm{SCLC}} = \tfrac{9}{8}\,\varepsilon\,\mu\,\tfrac{V^2}{d^3} \) (avec \(\varepsilon\) la permittivité, \(\mu\) la mobilité et \(d\) l’épaisseur organique équivalente). Ce modèle guide l’interprétation : si l’on doit monter trop haut en tension pour obtenir de la lumière, c’est souvent qu’une interface injecte mal ou que l’empilement est trop épais.
Exemple d’I–V : zone d’amorçage (« genou »), puis augmentation rapide du courant et de la luminance.
La luminance augmente avec le courant ; on suit souvent le rapport \( \eta_{\mathrm{lum}} = \dfrac{L}{I} \) (en cd/A) pour comparer des lots. À courant égal, un pixel plus efficace est plus lumineux. Pour la lecture à l’œil, l’important est la régularité : une échelle de consigne qui produit des paliers visuels homogènes facilite la mise en page d’icônes ou de chiffres.
L–I typique : une montée progressive puis un possible tassement à fort courant (roll-off).
Pour une matrice, l’uniformité compte autant que la performance individuelle. Nous cartographions l’intensité à une consigne donnée et comptons le pourcentage de pixels correctement allumés (rendement). Des écarts systémiques pointent souvent un masque mal jointif, une variation d’épaisseur ou un défaut d’alignement.
Uniformité à consigne fixe : zones plus sombres = épaisseur ou contact moins favorables.
La matrice se pilote en balayage : on active une ligne après l’autre, tandis que les colonnes imposent le courant des pixels à allumer. Comme chaque pixel n’est alimenté qu’une fraction du temps, la luminance moyenne dépend du rapport cyclique ; pour garder une échelle « naturelle », on ajoute une table de correspondance (gamma) entre la consigne logicielle et la durée d’allumage ou le courant impulsionnel.
Balayage ligne-par-ligne : drivers de lignes, sources de colonnes, et table de gamma pour une échelle régulière.
Les OLED n’aiment ni les surtensions, ni les pointes de courant. Des limites par conception (résistances de source, clamps, rampes d’allumage) et un filtrage d’alimentation réduisent les contraintes. Côté logiciel, on évite les sauts de consigne brutaux et on limite le courant maximal par pixel ; on prévient ainsi l’échauffement local et la dérive accélérée.
Balayage stable : pas de scintillement visible et paliers de gris réguliers après calibration.
Les matériaux organiques et certaines cathodes réagissent à l’oxygène et à la vapeur d’eau. Sans encapsulation, un pixel se dégrade rapidement (points noirs, baisse de luminance). Une barrière simple associe un capot (verre mince) et une colle de scellement ; mieux la barrière est étanche, plus la durée de vie augmente.
Encapsulation : capot + colle barrière pour limiter l’entrée d’oxygène et d’humidité.
À consigne constante, la luminance a tendance à diminuer avec le temps. On suit une courbe de vieillissement pour comparer les lots et ajuster le pilotage (par exemple en augmentant légèrement la consigne au fil des heures d’usage). Une bonne encapsulation et une consigne modérée améliorent sensiblement la stabilité.
Vieillissement typique : baisse de luminance progressive, compensable par une correction logicielle.
Les pixels s’allument de manière reproductible et la matrice affiche des motifs lisibles après calibration de l’échelle de luminance. Les courbes I–V montrent une tension d’allumage cohérente et une progression régulière du courant ; la cartographie d’uniformité met en évidence des zones légèrement plus faibles, corrélées à l’alignement des masques.
Les priorités sont d’optimiser l’injection aux interfaces (traitement de surface ITO, couche d’injection adaptée), d’uniformiser l’épaisseur des dépôts (réglage du taux et de la géométrie de source) et de renforcer l’encapsulation pour limiter la dérive. Côté pilotage, une gamma plus fine aux faibles niveaux évite l’effet de « marche » visible dans les gris sombres.